jeudi 22 novembre 2012

Lauréats 2012

Nous avons le plaisir de vous présenter les lauréats du Prix Don Quichotte 2012


Prix Spécial du jury


Fabien Pesty
Mon parcours d'écriture :


Je suis arrivé à l'écriture il y a environ 5 ans, via un forum d'informatique sur lequel je participais à des jeux d'écritures avec mots et situations imposées, ou rédigeais de faux articles encyclopédiques à la manière de mon idole Pierre Desproges. J'ai ensuite roulé ma bosse sur différents forums d'écriture, ai ouvert un blog sur lequel je poste des textes potaches, ai partipé à quelques concours de nouvelles.


Pour le dernier en date, le thème était "10". Cela faisait déjà quelques semaines que je cherchais une histoire convenant à ce thème quand, au détour d'un fond de tiroir, je suis tombé sur une boite de Picaduros. Je ne sais plus d'où elle vient, ni depuis combien de temps elle est là. J'ai ouvert la boite, il n'en restait plus qu'un. Puis mes yeux sont tombés sur l'inscription "10 cigares". L'histoire est alors tombée naturellement, je l'ai écrite en fumant mon dernier picaduros.

Ma nouvelle :
PASSAGE A TABAC

  La boite orange et marron me rappelle la tapisserie murale du salon de la maison dans laquelle j'ai grandi, en banlieue. De Houilles.
Mes parents n'avaient pas les moyens d'habiter dans Paris, alors on vivait en périphérie de Houilles. Mon père jouait toutes les semaines au loto, il rêvait de décrocher la grosse timbale et de se payer un 60 m² en plein centre. De Houilles. Moi, je rêvais seulement de vivre dans un appart digne de ce nom. C'est-à-dire sans tapisserie orange et marron.
Sur la boite s'étale en gros les lettres PICADUROS. En plus petit, en bas, "10 cigares". Et en minuscule, "Nuit gravement à la santé". Au dos, un rappel, pour que ça rentre bien dans la tête : "Fumer provoque des maladies mortelles". Sur la tranche, "Composition : tabac 98%, agents de texture 2%". Il est vrai qu'on ne sent quasiment pas le goût des agents de texture. En revanche, on sent bien passer celui du tabac. La vache ! ça vous passe l'œsophage à la râpe à gruyère, vous assèche les poumons, ça vous zèbre les yeux de stries rouges, et vous comprime le cerveau pendant trois jours. Enfin, j'ai l'air de vous donner des nouvelles du pays, mais…

Le premier, c'était pour fêter le bac. A 21 ans, donc. J'étais passé acheter une boite de Picaduros dans l'après-midi, pensant qu'elle me ferait la soirée. En fait, j'en ai fumé un seul. C'est plutôt des briquets que j'aurais dû acheter en boite de dix. Sûr, on passe plus de temps à les rallumer qu'à les fumer, ces saloperies. Et le temps qu'on ne passe pas à le rallumer, on le passe à tousser. Laissez-moi vous dire que, si comme moi, la seule chose sur laquelle vous ayez tiré jusqu'ici était une cigarette, alors vous allez vite comprendre la différence. Bienvenue dans le monde des brutes !
La première taffe, vous pompez façon aspirateur, pour faciliter l'allumage. Il s'allume donc correctement, mais aussi vos bronches et tout ce que vous comptez de bas morceaux dans le corps. C'est qu'il n'y a pas de filtre, là-dessus : les métastases passent directement du cigare aux poumons, et s'y agrippent comme des huîtres à un rocher. Si vous n'attrapez pas un cancer de l'œsophage dans la première minute, vous en chopez un aux narines, tellement ce truc pue. Certes ! Mais que c'est classe, de fumer le cigare ! Ça donne la nausée, l'impression d'être en cloque à chaque bouffée. Mais c'est d'une élégance incomparable.
Ce soir-là, je me suis senti devenir un homme. Le lendemain matin, la tête dans la cuvette, c'était un peu moins flagrant.

Le deuxième, c'était pour mon dépucelage. Le jour de mes 22 ans. C'est tard, pour se dégrafer la ceinture de chasteté, je sais. Mais je parle là du vrai dépucelage, celui où une fille a accepté d'avoir une relation sexuelle avec moi tout seul, et sans trop faire de manières. De toute façon, si j'avais été un beau gosse, vous pensez bien que je n'aurais pas attendu d'avoir 21 ans et un cigare au bec pour me sentir séduisant…
Elle s'appelait Aurélie, elle avait 17 ans. On m'avait toujours dit que la première fois n'était pas terrible. Vu comme ça a été franchement nul, j'en ai déduit que c'était la première fois pour elle aussi. J'ai eu beau jouer les durs, une fois à poil j'en menais pas large. Ce soir là j'ai perdu mes moyens bien plus que ma virginité. J'ai donc fait l'habitué, et en allant fumer mon cigare à la fenêtre, j'ai accusé Aurélie de ne pas être à la hauteur. Je l'ai larguée le soir même.

Le troisième, c'était à 22 ans et 9 mois, pour la naissance de ma fille. J'ai été bien obligé de me remettre à la colle avec Aurélie. Ce jour là, je devenais père et mari, autant dire que je prenais 20 ans d'un coup. Pour la première fois depuis longtemps, j'ai pensé à mon père. Je me suis demandé si, comme lui, j'aurais bientôt des rêves complètement foufous, comme habiter un 60m² en plein centre de Houilles. Et ce jour là, le cigare m'a paru encore plus dégueulasse que d'habitude. J'ai vérifié dans la boite, il me restait sept grands événements à vivre dans mon existence.

Le quatrième célébrait mon tatouage. Un aigle américain, et, juste en-dessous, gravé "Aurélie". Ou plutôt "Orélie". C'est un pote qui m'a fait le tatouage, et il a arrêté l'école à 16 ans. En CM2. L'aigle américain, j'aime pas trop, mais c'est la seule chose qu'il savait faire. Il est sur l'épaule, ce qui m'oblige à être le plus souvent possible en bras de chemise, pour l'exhiber. Y'a des saisons où la coquetterie me donne la goutte au nez.
Désormais j'ai Aurélie dans la peau, et Orélie sur la peau.

Le cinquième m'a laissé un mauvais goût en bouche. Non pas celui de tabac 98%, mais celui du sang. C'était après une victoire du PSG face à l'OM, au Parc des Princes. C'était surtout la victoire du Kop Kaizer contre ces pédés d'Ultraz de la Canebière. On les a battus sur le terrain, laminés à la buvette, et pulvérisés au baston. Me concernant, c'était une grande première. Et comme pour l'autre déniaisage, j'ai plus ou moins réussi ce baptême du feu. J'ai commis l'erreur de débutant classique, celle de m'attaquer en homme à homme à un supporter du camp adverse. J'ai pris un coup de boule dans la mâchoire, je m'en suis sorti avec le sourire d'un gosse de CE1. Les gars m'ont expliqué qu'on agissait toujours en surnombre. Du coup, c'est à trois contre un qu'on a fait bouffer un parcmètre à un marseillais. J'ai même eu l'immense honneur d'achever cette tapette à coups de talons. Quand je dis "achever", c'est pas ce qu'on pourrait croire : on n'achève jamais vraiment un mec du camp d'en face. On prend la peine de le laisser respirer, pour qu'il puisse, le reste de son existence, vivre dans le souvenir de cette humiliation.
J'ai fumé mon cigare et lui ai écrasé le mégot sur la joue. Puis je lui ai pissé dessus, pour éviter un départ d'incendie. Paris est magique.

Picaduros n°6 était en l'honneur de mon premier braquage. J'avais intégré depuis peu le "gang des scooters", une bande qui s'attaquait aux bijoutiers et prenait la fuite en petite cylindrée. Moins flamboyants que les Hells Angels, mais plus efficaces ! Pour l'occasion, on m'avait fourni un flingue. Je m'étais entraîné à la campagne, en dégommant des nids et des cannettes. Celui qui n'a jamais eu ce genre de joujou entre les mains ignore tout du bonheur. Ça vous transforme un homme en surhomme. Une crosse au bout des doigts, vous devenez invincible, vous pouvez marcher sur le Monde.
On s'est pointés à l'heure de la fermeture du magasin, et on est entrés dans la boutique en gardant nos casques sur la tête. Le bijoutier n'a pas cogité très longtemps : il a vu trois motards portant un sac de sport et le menaçant d'une arme, il s'est bien douté que les types ne venaient pas acheter une broche pour la fête des mères. Sans dire un mot, sans même qu'on n'ait à le lui demander, il nous a rempli le sac de bijoux, nous a remis la caisse, et "gardez la monnaie !". Aussi simple que d'aller acheter le journal au kiosque du coin ! Moi qui m'étais entraîné à parler d'une voix menaçante, à tirer sur une cible mouvante (enfin, disons "volante") ou à sauter par-dessus le comptoir, je dois avouer que j'ai été un peu déçu que tout se déroule aussi facilement, sans esbroufe.
Ce n°6 m'a rappelé le premier : l'impression de toute puissance, de grandir, d'être devenu un vrai dur. Il m'a aussi évoqué le deuxième, et la déception de la première fois. Je n'avais même pas eu à me servir du flingue. En regardant le canon, à travers les volutes du cigare, j'ai repensé à cette chanson des Beatles : "Happiness is a warm gun". J'ai aussi éprouvé de la nostalgie, à considérer qu'il ne me restait plus que quatre grands moments à vivre. Le bonheur, c'est un flingue encore chaud.

C'est à ma sortie de taule que j'ai allumé le septième. Presque trois ans derrière les barreaux, ça se fête ! On s'était fait cueillir quelques jours après le braquage. On a rapidement compris pourquoi il s'était déroulé aussi tranquillement : suite à la série de vols à scooters, les policiers avaient incité les bijoutiers à se constituer deux caisses, dont une qui ne contenait que des faux billets. C'est celle qu'on a embarquée, on s'est donc fait choper dès les premiers billets dépensés.
Je ne regrette pas mon passage par la case Prison, j'y ai pris le temps de reconsidérer ce genre d'erreur de débutant, et de mûrir encore un peu. J'y ai aussi fait des rencontres très utiles pour mon avenir. La prison est aux petites frappes comme moi ce que le conseiller d'orientation est aux collégiens : un passage obligatoire pour envisager l'avenir, avec l'assurance toutefois d'être mal orienté. J'en suis donc ressorti avec un carnet de bal bien rempli, ainsi qu'une liste de trucs de grands-mères pour éviter de me faire pincer à nouveau. Ça valait bien mes agents de texture 2%.

L'antépénultième fut le premier à ne pas avoir le goût de la médaille. Rien à célébrer. Non, celui-ci n'était qu'un accessoire, au même titre que les chaussures vernies, le nœud de cravate et la gomina. Il faisait partie de la panoplie du bon petit chef de bande. C'est donc Picaduros aux lèvres que j'ai été présenté à Sid Vicious, gros bonnet de la mafia de l'est parisien. Il devait son nom à son goût immodéré pour la défonce, le sexe, le pistolet. Et le vice. On s'est rapidement bien entendu : je lui offrais de la main d'œuvre fiable ainsi qu'un fort taux de pénétration dans le milieu de la délinquance banlieusarde, en échange je bénéficiais d'une bonne place dans son organigramme.
Perso, j'avais jamais trop touché à la dope. Cette abstinence était l'un des points forts de mon CV : j'étais le type clean, fiable, toujours alerte et jamais en position de faiblesse. Le cigare m'assurait toutefois une certaine suprématie sur le fumeur de clopes lambda. Mon investiture avait été parfaite, mon règne pouvait débuter. Le neuvième viendrait confirmer cette vérité, en rappelant aux personnes qui étaient présentes ce jour-là la forte impression que j'avais laissée sur eux.

Il fut donc allumé, ce neuvième, avec un billet de deux-cents euros. Mieux qu'un briquet plaqué or. C'est Sid Vicious qui tenait le feu. C'était apparemment une marque de reconnaissance certaine de la part du chef. Il m'avait investi d'une mission : celle de gagner des parts de marché dans le nord parisien, puis de m'emparer du territoire. Fief réputé imprenable, propriété tenace de la bande de la Chapelle. Des durs au mal, des teigneux, des belliqueux. Des barbares, qui n'hésitent pas à rectifier leurs rivaux à coups de "pure shoots", des injections d'héroïne pure qu'ils vous font passer directement du producteur au consommateur, sans intermédiaire. "L'enquête de police a conclu à une overdose".
La tête de la bande était intouchable, alors c'est par ses fondations que j'ai ruiné la maison. J'ai infiltré les caves et les halls d'immeubles, proposé à tous les porteurs de seringues le double de ce qu'ils touchaient auparavant. Une entreprise ne vaut que par le poids de ses ouvriers, mon père me l'avait suffisamment rabâché. En m'assurant d'avoir la base derrière moi, plus quelques commerciaux, je récupérais la clientèle, le savoir-faire, les carnets de commandes, et les machines-outils. Les actionnaires ont été licenciés à coups de pompes dans le cul (façon de parler, c'était en réalité un peu plus brutal…), direction l'ANPE de la drogue. Le temps qu'ils reforment leur réseau, nous avions inondé le nord-est parisien et régnions sur tout le secteur. Le chef pouvait donc bien y aller d'un petit billet de deux-cents pour allumer mon ultime cigare avant la consécration.

Sid Vicious planait dans les hautes sphères psychotropiques lorsque je suis allé le cueillir. Il avait beau avoir le cerveau complètement cramé, il a vite compris que ça tournait chocolat pour lui. J'ai vu passer dans ses yeux un truc qui ressemblait à rien de comparable. Et qui aurait pu me faire peur, l'espace d'un instant. Faut dire qu'il n'y a rien de pire pour un chef de gang que de se faire doubler par sa doublure. Les gars étaient de mon côté, j'étais en quelque sorte le représentant du petit peuple, le délégué syndical du cartel de la drogue. Comme eux, j'étais parti en bas de l'échelle et on avait pris l'ascenseur social ensemble. Là, avec pertes, fracas et trahison, on montait dans la cabine du capitaine pour s'emparer du vaisseau. Appelons ça une mutinerie.
Pour brouiller un peu les pistes, on a opté pour la méthode estampillée "Porte de la Chapelle". Et on a offert à Sid Vicious son meilleur trip.
Mon erreur fut de sous-estimer sa capacité d'ingestion. Pour un type aussi camé que Sid Vicious, une simple injection d'héro pure ne suffit pas. Ça s'apparente à de l'homéopathie, dans son cas. Il faut reconsidérer la posologie, augmenter le dosage. Il s'est réveillé le lendemain avec l'équivalent d'une gueule de bois, là où n'importe quel clampin aurait saigné son cerveau par les trous de nez. Le temps de s'en remettre, se refaire un semblant de santé, et il est revenu discrètement dans la course, en s'alliant avec ce qui restait de la fanfare de la Chapelle. Et ils avaient l'intention de me jouer un air connu.
De mon côté, j'avais déjà établi mes quartiers et profité de mes nouvelles fonctions. Les pantoufles de Sid Vicious n'avaient pas eu le temps de refroidir, comme on dit. Quand il a débarqué avec son orchestre, j'étais occupé à consoler sa veuve. Ça lui a fait une sacrée surprise, à sa pétasse, de voir son mec ressuscité. A moi aussi, j'avoue, même si je devinais que ce ne serait pas vraiment la même histoire qu'avec l'autre grand maigre descendu de sa croix. Deux époques, deux styles.
Le fait de me trouver au pieu avec sa gonzesse, ça n'a pas été porté au crédit de mon dossier, qui était déjà bien épais. J'ai revu ce truc dégueulasse et flippant dans son regard, au moment où il me préparait à son tour l'injection létale. "Avec ça, c'est la visite guidée de l'espace, à dos de poney multicolore", il m'a dit. Y'a plus salaud, comme fin.
Grands seigneurs, ils m'ont donné droit à une dernière volonté. J'ai demandé à ce qu'ils m'apportent la boite orange et marron, dans la poche de ma veste. Ils ont été surpris que je ne demande pas à revoir une dernière fois ma fille. Ils savent pourtant que lorsqu'on a épousé la carrière de grand bandit, chaque fois que l'on sort de chez soi et que l'on embrasse sa famille, on lui fait ses adieux. Une fois que l'on a franchi le seuil de sa maison, on peut se faire descendre par les flics ou par d'anciens collègues. Au cours de ces dernières années, j'avais donc fait mes adieux à ma fille des centaines de fois. Et puis j'avais gardé ce dernier cigare pour ce dernier jour. Je le savais depuis le premier.
Ils m'ont détaché les mains, puis m'ont laissé fumer mon cigare tranquillement. Je m'amusais de l'inscription "Nuit gravement à la santé". Sûr qu'après la dernière bouffée, ma santé allait connaître de graves nuisances. Je savourais, ça a pris le temps que prend la dernière cigarette du condamné. J'ai écrasé le mégot sous ma semelle et j'ai attendu que ça vienne. Je me sentais prêt. J'ai rapidement compris que je ne l'étais pas.

Ils m'ont rattaché les mains, m'ont souhaité bonne chance pour la suite. Ils m'ont prévenu que malgré la qualité de la came, ça risquait d'être un bad trip. Tandis que Sid Vicious commençait à actionner le piston, la porte de la pièce s'est ouverte et ils y ont fait entrer ma fille, en sanglots. "Même si c'était pas ton dernier vœu, on te l'a exaucé". Il m'a dit ça en ricanant, et j'ai revu ce truc dans ses yeux. J'ai alors compris ce que c'était : le vice.
J'ai hurlé quand ils relevaient la manche de ma gosse, j'ai hurlé quand ils lui ont fait un garrot au dessus du coude, j'ai hurlé quand l'aiguille s'est plantée. Je pense qu'à l'heure qu'il est, je hurle encore.
Elle allait avoir dix ans.





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Premier prix


Eve Chambrot

Mon parcours d'écriture :
 L’écriture, un projet patient

Depuis l’enfance, je suis accompagnée par l’écriture et animée d’une passion pour la langue française : journal, carnets de notes, correspondances multiples, textes divers écrits dès que l’occasion s’en présente… Pour autant, écrire un livre semble inaccessible, pendant de longues années…

Et puis en 2007, je rencontre le plasticien Victor-Rarès Malureanu et nous entamons une belle collaboration autour des textes dont il a besoin pour accompagner son travail. Dans le même temps, des amis musiciens me sollicitent pour écrire des textes divers pour leurs sites ou albums. En 2008, une seconde rencontre me permet de concrétiser un désir de longue date : écrire un texte long et c’est ainsi que naît une première biographie, puis très vite une seconde en 2009, publiée chez Actes Sud. L’année suivante, Victor-Rarès me demande d’écrire la sienne pour inclure dans sa future monographie.

A la même période, j’ai commencé à suivre différents ateliers d’écriture dont ceux de Benoît Fourchard à Nancy et de Maya Vigier à Paris, moments inoubliables de création personnelle et collective.

Ces stages ont agi comme un détonateur, un véritable déclic libérateur quant à mon propre imaginaire, et ont eu pour belle conséquence les deux romans que j’ai écrits coup sur coup, en 2010 et 2011. Et en 2012, je décide de tenter l’aventure des concours de nouvelles…

Bibliographie

La Bonne Distance, roman, 2011

Le Noeud de pomme, roman, 2010, à paraître en avril 2013 aux Editions La Valette

Moi intime, je public de Eve Chambrot, Mireille François et Victor Rarès Malureanu, à paraître fin 2012 aux Editions Somogy (monographie de l’artiste Victor-Rarès Malureanu)

La Chaumière de Eve Chambrot et Emmanuel de Saint-Martin, Actes Sud, 2009 (biographie)

Jean Lionel-Pèlerin, Maire de Nancy, 2008 (biographie)

Ma nouvelle : 
 
LA POLYGRAPHIE DU CAVALIER



N° 12-1973-2504 - Vends échiquier Touareg, dim 30 X 30, 10 x 10 cases, cuir peint martelé main, pièce unique. S’adr. M. DECADUS antiquaire, 40 rue de Paradis Paris 10°.




Paris, le 20 décembre 1973
Chère amie,

Vous souvenez-vous de ce beau plateau de jeu en cuir dont je n’arrivais pas à me débarrasser ? Eh bien ça y est, je l’ai vendu ! J’avais passé une petite annonce dans divers journaux sans trop y croire et puis hier un acheteur s’est présenté. Sur le coup, je ne l’ai pas pris au sérieux : il arborait une tignasse qui n’avait pas rencontré de coiffeur depuis au moins une décennie et marmonnait des phrases dépourvues de sens tout en effleurant l’échiquier avec une sorte de respect mystique. Je me suis dit encore un original qui va me faire perdre mon temps et j’ai entrepris de classer des factures, en négligeant de lui faire l’article. Mais, à ma grande surprise, il s’est approché du bureau où je me débattais avec des chemises en carton et m’a dit d’une voix à peine audible « Vous le vendez combien ? Ce n’était pas indiqué dans votre annonce. ». Sidéré, j’ai annoncé un chiffre indécent (mille francs, vous vous rendez compte ?) et il a sorti son portefeuille sans discuter. Je n’en suis pas encore revenu… Nous allons donc pouvoir nous offrir ce week-end que nous remettions depuis si longtemps ! Choisissez votre destination (nous avions parlé de Venise mais n’est-ce pas un peu trop humide à cette saison ?) et je me chargerai de prendre les billets. Je suis impatient !
Bien à vous
Robert

Paris, le 20 décembre 1973
Cher ami,

Je viens de faire un achat fantastique ! Vous savez que je travaille à un nouveau projet de livre pour lequel je m’use les yeux à dessiner des damiers dix cases sur dix afin d’expérimenter la fameuse polygraphie du cavalier. J’avais envie d’ancrer mes réflexions sur quelque chose qui soit moins ingrat que le papier à carreaux, un objet qui ait une matière, une couleur, une odeur, une histoire aussi. Les échiquiers classiques à 64 cases ne me convenaient pas, je m’y trouvais étriqué. J’avais mis la main sur un beau plateau (amarante et sycomore) dont les cases rouges et blanches me plaisaient, mais il était de fabrication trop moderne, je ne sentais pas flotter autour de lui les âmes penchées de joueurs infatigables. Je l’ai remisé derrière le canapé, où il prend désormais la poussière. Et puis hier, le miracle. Je lisais le journal sans arrière-pensée aucune et voilà que mon café se renverse alors que je tournais la page des petites annonces. Je tamponne rapidement avec mon mouchoir avant que le liquide ne se faufile jusqu’à mon pantalon, et mon œil est attiré par deux mots mis en relief par le papier mouillé qui commençait à gondoler : « ECHIQUIER TOUAREG » ! Je suis sorti en trombe, déjà inquiet que quelqu’un puisse se précipiter plus vite que moi, mais je suis arrivé à temps. C’est un objet splendide, un cuir épais dont on sent encore l’odeur, martelé à la main avec beaucoup de délicatesse et dont les cases sont à la fois identiques et toutes différentes, vous allez l’adorer vous aussi ! J’y entrevois déjà les mille chemins possibles du cavalier comme autant de petits voyages sans retour à inventer. Quand venez-vous l’admirer ?
Amitiés
Georges



Dixmont, le 23 décembre 1973
Robert chéri,

Je suis ravie que vous ayez conclu une bonne affaire, mais que croyez-vous que nous allons pouvoir faire avec mille francs ? J’espère que vous ne comptez pas m’emmener dans une auberge de jeunesse, au terme d’un voyage en deuxième classe avec des couchettes où l’on dort à même le skaï ? Je vous suggère que nous attendions votre prochaine vente pour faire de réels projets. En attendant je continue à chercher une destination qui soit pour nous deux un véritable dépaysement. J’espère vous voir bientôt, je me languis un peu. Est-ce votre travail qui vous laisse si peu de répit ? Ou votre femme qui devient soupçonneuse ? Enfin, je vous pardonne, en grande partie à cause du splendide collier que vous m’avez offert et que je porte désormais en toute occasion. Ne tardez pas trop.
Votre petite Madeleine



Paris, le 30 décembre 1973
Cher Raymond,

Votre visite m’a fait beaucoup de bien (je vis comme un ermite depuis que je travaille sur ce projet !), et je suis heureux que l’échiquier touareg vous ait plu. Grâce à sa présence inspirante, j’ai pu avancer plus vite sur ces fichus déplacements du cavalier : je commence à voir comment utiliser ces règles pour cheminer dans mon roman de manière implacable. Vous ai-je dit comment m’est venue l’idée de toute cette histoire ? J’avais le souvenir de photos prises pendant la dernière guerre, des photos d’immeubles éventrés laissant voir simultanément tous leurs intérieurs, des pièces béantes avec leurs papiers peints fleuris, leurs lustres solitaires, leurs parquets tranchés nets, leurs baignoires penchant vers le vide… Je ne pouvais cesser de penser aux gens qui avaient vécu là paisiblement, dans ces pièces douillettes aujourd’hui ouvertes aux quatre vents. Plus tard, j’ai trouvé une estampe montrant une scène de jeu de go dans le Dit du Genji : on y voit plusieurs pièces contiguës, la façade ayant été « omise » par l’artiste pour favoriser l’observation des différentes scènes. Il y a aussi ce magnifique dessin de Saül Steinberg (paru dans The Art of living en 1952) représentant un meublé laissant voir l’intérieur de vingt-trois pièces (je les ai comptées). Tout cela a dû mariner dans mon esprit, et j’en suis arrivé un beau jour à imaginer un immeuble parisien dont la façade aurait été enlevée de telle sorte que, du rez-de-chaussée aux mansardes, toutes les pièces soient instantanément et simultanément visibles. J’ai schématisé les étages et les appartements par un carré comportant 100 cases, chaque case représentant un espace délimité (pièce, couloir, cage d’escalier…). La narration se déroulera pièce par pièce, en passant d’une case à une autre selon les déplacements permis à un cavalier du jeu d’échec (la polygraphie dont je vous ai parlé, mais que j’ai adaptée à un échiquier 10 x10). Pour l’instant j’en suis là, mais je réfléchis à diverses façons de maîtriser strictement la structure du récit en introduisant d’autres contraintes (combinatoires panachant de façon rigoureuse les styles de mobilier, les objets, les animaux, les formes, les couleurs, les actions…). C’est un projet tout à fait totalitaire, au sens premier de « qui englobe ou tente d’englober la totalité des éléments d’un ensemble ». J’ai même l’ambition d’essayer de supprimer le « tenter de », pour parvenir à une exhaustivité très contrôlée. Mes recherches m’entraînent vers les mathématiques (ah, le bi-carré latin orthogonal !!) et je côtoie désormais quotidiennement Euler, Bose et Shrikhande. Bientôt plus personne ne comprendra ce que je fais, peut-être même pas moi-même ! J’ai le sentiment de m’être engagé dans quelque chose de titanesque, mais très excitant aussi.…
À très bientôt
Georges



Paris le 30 décembre 1973
Chère Madeleine,

Vous sembliez distante hier au téléphone, vous m’avez un peu peiné. Bien sûr que je vais réaliser une autre vente, c’est un magasin que j’ai, pas un musée ! J’ai un acheteur en vue pour la commode Charles X (vous savez, celle avec la belle marqueterie), elle lui plaît beaucoup mais il doit revenir avec sa femme. Si j’ai proposé un week-end avec les mille francs de l’échiquier ce n’est pas par pingrerie, mais parce que j’avais envie de vous voir très vite (ce qui apparemment n’est pas votre cas). Tant pis, nous attendrons la prochaine vente et irons dans un trois étoiles, je vous le promets. D’ici-là, prenez soin de vous et pensez à moi, si vous n’êtes pas trop fâchée.
Votre Robert



N° 12-1973-4910 – Vends belle commode Charles X excellent état, dessus marqueterie érable moucheté – Urgent, prix en baisseS’adresser M. DECADUS antiquaire, 40 rue de Paradis Paris 10°.




Paris, le 3 mars 1974
Cher Raymond,

Je ne peux pas résister au plaisir de vous dire à quel point mon travail avance ! Je suis venu à bout de ces histoires de bi-carrés latins orthogonaux d’ordre 10 et j’ai désormais quarante-deux listes de dix éléments qui semblent bien adaptées à toutes les permutations que j’envisage : qui fait quoi, dans quelle pièce pourvue de quel mobilier etc Le modèle mathématique me permet d’être certain qu’il n’y aura aucune répétition des combinaisons et me garantit la rigueur que j’espère. Je n’ai pas besoin de vous expliquer que toutes ces contraintes que je m’impose ne constituent pas un carcan aliénant mais bien au contraire une formidable machinerie pour la libération de l’imaginaire !

Parmi les milliards de choses à faire que nécessite ce gigantesque chantier romanesque, j’ai aussi fixé le nom du personnage dont la vie sera relatée tout au long du roman (et qui mourra d’ailleurs à la dernière page). J’y réfléchissais depuis longtemps, et j’ai finalement tranché, après de longues hésitations et d’innombrables essais : ce sera… Percival Bartlebooth !!!! Est-ce assez improbable ? J’aime bien ces sonorités vaguement ridicules mais desquelles se dégage une certaine tendresse…
Comme vous le voyez, je m’amuse bien !
Bien à vous
Georges

Paris, le 3 mars 1974
Chère Madeleine,

Je suis navré que notre week-end tant attendu se soit terminé de la sorte. Votre silence m’inquiète : j’espère que vous n’êtes pas fâchée, vous savez bien que je n’y suis pour rien… Je serai à Auxerre jeudi, dînons ensemble, voulez-vous ?
Votre Robert




N° 03-1974-322 – Vends beau collier perles triple rang, fermoir argent 19ème. Écrire au journal qui transmettra.




Paris le 10 avril 1974
Cher Raymond,

J’ai trouvé le titre ! Je ressens cela comme une vraie victoire, et quoi de plus normal que de la partager avec vous qui soutenez mon travail ? J’avais un moment pensé à L’Échiquier touareg parce que ce titre exotique avait de belles sonorités et un rythme ternaire parfait, mais la relation avec l’ensemble et les objectifs du projet était trop lointaine. J’ai ensuite penché vers La Polygraphie du cavalier, que je trouvais à la fois beau et empreint de mystère. Mais cela dévoilait un pan de la petite cuisine interne du livre, alors que toute la mécanique doit rester transparente. Le bourdonnement de cette recherche de titre a occupé mon esprit pendant plusieurs semaines avant que la bonne idée - l’idée juste - ne surgisse comme une évidence, alors que j’allais chez mon poissonnier chercher des truites pour le dîner. Ce sera La Vie mode d’emploi.
Qu’en pensez-vous ?
Georges

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Deuxième prix

Régine Bernot




Mon parcours d'écriture : 
 
Affligée d’un appétit insatiable pour toute forme de lecture qu’elle assouvit en participant à des jurys (Prix des Lectrices Elle, Prix du roman France Télévision, Prix du Livre Inter) Régine Bernot est aussi passionnée de théâtre, de spectacles vivants et de cinéma.

Elle vit près de Toulouse, dans une maison pleine de livres et de chats. Ses auteurs de prédilections, sont, entre autres, des nouvellistes comme : Annie Saumont, Christiane Baroche, Didier Daeninckx, Thierry Jonquet, Philippe Claudel, Emmanuelle Urien et Tonino Benacquista.

Forte de quelques succès remportés lors de concours de nouvelles, elle entretient son vice en noircissant des pages blanches dès qu’elle a un instant de répit. Outre les contes, nouvelles et poèmes concoctées dans ses marmites, elle sait très bien accommoder la tarte Bourdaloue et le cassoulet au confit de canard.
Elle rêve de conjuguer ses deux passions en écrivant un roman culinaire. 

Ma nouvelle : 

LE SEIGNEUR DU CLAPIER

 Maniée d’une main puissante, la lame de l’opinel trancha net les tiges dressées de l’arroche. Firmin, qui savait à peine lire et compter, s’y entendait dans le choix des herbes sauvages pour ses lapins. Il en connaissait un rayon sur ses herbivores à la chair tendre. C’était à peu prés tout ce qu’il maîtrisait, l’élevage de lapins dans des clapiers bricolés, sa seule ressource avec le potager. C’est bien ce que lui reprochait sans cesse la mère. Jamais contente, la mère, qui après une jeunesse trop vite flétrie, avait ranci à force d’amertume. Toujours à brailler sur le pauvre monde, surtout sur lui, ce bâtard qui avait torpillé ses espoirs d’une vie meilleure. Qu’y pouvait-il, lui qui n’avait pas demandé à venir au monde, au fait que son père s’était carapaté avant sa naissance ? Ça le soulageait quand même de savoir qu’il avait déguerpi avant la découverte du défaut de fabrication du fiston. Oh ! Pour être fort et bien bâti avec ce qu’il faut là où il faut, ça ne posait pas de problème. Seule la cervelle était un peu faible. Au demeurant pas mauvais bougre, le Firmin, mais trop simplet pour vivre comme les garçons de son âge. « Pas même capable de compter sur ses dix doigts ! » gueulait sa braillarde de mère. Il n’avait pourtant pas ménagé sa peine, sur les bancs de l’école communale qu’il avait quittée sans regrets et sans ce certificat d’étude qui rendait si fier les parents. Il se mélangeait les pinceaux avec les anciens et les nouveaux francs et rendre la monnaie, ce n’était pas son fort. Alors la mère se chargeait de vendre sa production aux bourgeoises et aux gargotiers, serrant l’argent dans les abysses de ses poches. C’était encore la mère qui cuisinait le lapin chaque dimanche. Elle s’y entendait pour préparer un salmis à la ventrêche, un râble au sang ou une terrine parfumée aux herbes. L’hiver, elle dédaignait la cuisinière à charbon pour l’âtre où elle mettait à mijoter le civet dominical dont les effluves embaumaient la pièce. « Bas les pattes, sale vaurien ! » beuglait-elle quand elle surprenait Firmin à soulever le couvercle de la cocotte pour humer le fumet capiteux. Il obéissait avant que le large battoir à cinq doigts de la mère ne marque sa joue d’autant de stries. Du plus loin qu’il se souvenait, il l’avait toujours entendue hurler des ordres assortis de vexations, troquant son nom de baptême pour ceux d’oiseau. Outre les torgnioles, son éducation s’était forgée à coup de gueulantes « Ferme- la, corniaud ! T’es qu’une grosse limace ! Triple buse ! Regardez-le, ce grand dépendeur d’andouille qu’est pas foutu d’aider sa pauvre mère! »
Depuis toujours, la mollesse entravait ses gestes que la maladresse de ses mains épaisses alourdissait encore sous le regard courroucé de la mère. Il n’y avait qu’auprès de ses lapins qu’il retrouvait son naturel enjoué. Eux, au moins, ne hurlaient pas, ne le blâmaient pas, ne l’humiliaient pas et leur empressement à se jeter sur les feuilles de pissenlit ou les fanes de carottes qu’il leur distribuait en chantonnant suffisait à déclencher un sourire béat sur son visage ingrat. Loin des oreilles de la mégère, il psalmodiait une mélopée confuse « Au clair de la lune…tu ne voleras point…Clair de la lune, tu sanctifieras le jour du seigneur…Seigneur ! » Et sa bouche était la gargouille par où s’écoulait le flot continu de ces bribes de mots enracinés dans sa mémoire.
« Ton père et ta mère, tu honoreras » proclamait d’un ton sentencieux le vieux curé qui avait tenté de lui inculquer quelques notions de catéchisme. Firmin avait du ânonner comme les autres les dix commandements. Il n’y comprenait que couic à ces salamalecs pour Dieu le père, aussi invisible que le sien, mais il avait retenu la litanie apaisante des prières. Sa seule contrariété, c’était l’ordre de récitation des dix commandements, surtout le dernier, oublié, perdu sans laisser de traces.
Les commandements, sa mère les pratiquait à sa manière Les dix et davantage puisque tous les doigts de Firmin ne suffisaient pas à l’énumération.
– Tu sarcleras les haricots et tu attacheras les pieds de tomate.
– T’as retourné le tas de fumier ?
– Et alors, qu’est-ce que t’attends, fainéant ? Vas me fendre quelques bûches !
– Ramène-moi quelques oignons. Et dépêche-toi, bon sang !
– Tue-moi un lapin pour dimanche, crétin de la lune!
Firmin obéissait en fredonnant ses litanies : « Tu ne tueras point. Tueras point. La soupe à l’oignon pour les petits garçons ! »
Quand il avait débuté son élevage, Firmin avait eu quelques scrupules à occire ses lapins. Il connaissait par cœur les dix commandements, dont celui qui ordonnait de ne point tuer. « Mais tuer pour se nourrir n’est pas pécher » avait précisé monsieur le curé. Il avait rajouté « surtout si tu ne les fais pas souffrir ». Firmin abattait ses bêtes d’un coup sec de bâton sur la nuque tout en marmonnant ses incantations décousues, façon pour lui de se disculper au regard de ses lapins. Pour le civet, il n’oubliait pas de récupérer le sang dans un bol empli de vinaigre en arrachant un œil de l’animal. Il accomplissait cela posément, toute maladresse gommée de ses gestes qu’il répétait comme un rituel religieux. « Tu ne feras pas d’impureté. Tu ne voleras pas. Tu ne mentiras pas. Oh ! Ça mousse ! Savon savon savon… » Gamin, sa mère l’obligeait à se laver la bouche au savon chaque fois qu’il mentait. Ce goût écœurant et celui, plus âcre, de la réprimande s’accrochaient, vivaces, à ses souvenirs.
La dépouille du lapin suspendue par les pattes arrières, il la déshabillait entièrement de sa fourrure qui serait revendue un bon prix par la mère. Il chantonnait, à présent, les dix commandements sur l’air d’une rengaine à la mode « Tu ne prononceras le nom de Dieu qu'avec respect. Tu sanctifieras le jour du Seigneur. Seigneur, saigner, saigner » Il sortit avec précaution le foie et retira la petite poche verte de la vésicule biliaire « Tu n'auras pas de désir impur volontaire. Taire. Taire mère ».
La mère pouvait être satisfaite, elle avait son lapin, rose et dodu comme un nouveau-né, pour son civet. Mais elle continuait à le houspiller, comme ça, pour rien. 
– Ne mets pas les doigts dans ton nez, couillon de la lune, ou tu vas le transformer en patate !
– Ne reste pas là à rien faire, âne bâté, ou la paille te sortira bientôt des oreilles !
– Et ne me regarde pas avec tes yeux de merlan frit ! Va plutôt me chercher du bois pour le feu !
Il s’affairait, Firmin, s’empêtrant dans ses gestes en voulant aller vite sous l’œil coléreux de la mère. Quand, enfin, elle lui laissait un instant de répit, il en profitait pour s’observer dans la glace suspendue au dessus de l’évier. Malgré la fêlure qui, depuis le coup de poing de la mère le coupait en deux, le miroir lui renvoyait le reflet familier de son regard humide de bovin, de son nez, grand certes, mais qui n’avait rien d’un tubercule et de ses oreilles décollées qu’aucun fétu n’encombrait. En plus d’être bête comme ses pieds, sa mère lui répétait sans cesse qu’il était vilain comme un pou. Seuls ses lapins, qui se moquaient bien de sa laideur, lui procuraient ce semblant de tendresse que lui refusait sa génitrice. Quand trop de souffrance en provoquait la crue, il allait cacher ses larmes en enfouissant son visage dans la fourrure tiède de Popol. Popol, c’était le mâle effronté et vigoureux qui montait toutes les femelles sans se faire prier et, ainsi, sauvait sa peau. Au contraire de ses congénères, il ne s’effarouchait pas de se grand dadais qui laissait des traces humides dans son cou en y fourrant son nez.
Par un accord tacite, Firmin abandonnait à sa mère la gestion des ventes et le soin de mitonner le lapin. Lui régnait en maître sur ses clapiers, nettoyant les cages et nourrissant son cheptel avec application.
Par un clair matin d’automne, Firmin fredonnait en revenant de sa cueillette d’herbes sauvages. Il se sentait heureux rien qu’en reniflant l’odeur aigrelette des pommes blettes et de l’humus. Tout à coup, il s’arrêta net et lâcha son ballot en découvrant Popol prisonnier des serres de sa mère. Celle-ci, l’œil mauvais et l’écume aux lèvres, rugit « Il a assez jeté sa gourme, ton Popol. Regarde le, il est gras comme un moine ! Ça nous fera un bon civet » On était à la veille d’un dimanche, jour sacrificiel. Mais c’était toujours lui, Firmin, qui choisissait la bête à immoler et lui seul qui accomplissait le cérémonial. Devant la mine en colère de son fils, la vieille déguerpit à l’intérieur de la maison sans lâcher sa proie. Firmin, qui s’était attaché plus que de raison à son Popol, se précipita à ses trousses pour sauver son protégé. Il s’ensuivit une bousculade anarchique, dominée par les cris d’orfraie de la mère et les lamentations du fils « Tu ne tueras point ! Tu ne tueras point ! » En voulant se saisir de l’otage, Firmin repoussa violement sa mère qui perdit l’équilibre. Elle se raccrocha à lui, s’agrippant à son corps puissant en laissant échapper le lapin. Popol s’enfuit prestement par la porte laissée ouverte. L’empoignade malencontreuse avait décuplé la colère de Firmin. Ses larges pognes saisirent le cou de poulet de la vieille qui se débattit en hurlant. Ses cris se noyèrent dans un gargouillis suivi du bruit sec d’une branche qu’on brise à même la cuisse. Firmin se figea dans le silence épais. Bouche ouverte et bras ballants, il regardait sans comprendre le corps inerte de sa mère dont les yeux révulsés le fixaient bêtement. C’était donc ça, tuer ? Aussi simple que pour les lapins ? Puis, sans crier gare, son visage s’anima, ses lèvres laissèrent échapper des sons incompréhensibles qui s’enchainèrent jusqu’à former une phrase qu’il se mit à répéter en boucle en s’adressant à la dépouille muette. Sa mémoire venait de libérer, telle une bulle de savon, le souvenir du dixième commandement. « Tu ne désireras pas injustement le bien des autres. Tu ne désireras pas injustement le bien des autres. Tu ne désireras pas …»

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Troisième prix
Karine Constensoux

Mon parcours d'écriture : 

Je suis professeur des écoles, j'ai 39 ans. J'écris depuis peu de temps, depuis un peu plus d'un an, même si les histoires m'ont toujours trotté dans la tête. J'ai osé envoyer une première nouvelle, en février dernier, au concours "plus dure sera la chute" organisé par le centre régional des lettres de Basse Normandie, et à ma plus grande surprise, j'ai reçu le premier prix. Alors j'ai continué et continue toujours. Le week end prochain, je me rends à La Teste de Buch, pour recevoir un troisième prix.

Votre concours m'a beaucoup plu, de par l'originalité du sujet et par le fait que c'est très émouvant de participer à la naissance d'un concours. J'ai hâte de connaître les nouvelles des autres lauréats et de voir ce qu'ils ont fait de ce chiffre "10".


Ma nouvelle : 

L'HOMME EN VIOLET
 
-« Le neuvième était fou! Le neuvième était fou! Qu'en sera-t-il du dixième? »
-« Le neuvième était fou! Le neuvième était fou! Qu'en sera-t-il du dixième? »
Cette ritournelle, la petite Elysabeth l'avait inventée un soir d'été. L'humeur était joueuse. Ils s'amusaient à courir dans les jardins léchés par les derniers rayons du soleil. Pour que la course soit plus folle, elle avait chantonné ces paroles. D'où lui étaient-elles venues? Chacun savait que son imagination gambadait tel un cabri s'appuyant tantôt sur un mot entendu aujourd'hui, tantôt sur une histoire écoutée hier.
L'effet escompté s'était produit. Elle voulait l'asticoter pour pimenter leur course poursuite. Lui, tout en riant, se sentait piqué. La comparaison n'était guère flatteuse. Les choses remontaient certes loin, mais il n'aimait pas cette idée. Tout le monde connaissait l'histoire de ce neuvième. Agacé, il avait alors accéléré sa course. Elle riant tant qu'elle ne put courir, ses poumons éclatant de ses rires. Il l'attrapa, la fit trébucher par terre. Arrachant une poignée d'herbe, il la lui fourgua dans la bouche. La petite fille, à bout de souffle, se débattait malgré tout.
-« Dis que ce n'est pas vrai » Mais l'heure était à la provocation...
-« Le neuvième était fou...»
Quelques brins d'herbe rentrés dans sa bouche lui collèrent au palais. Crachant, toussotant, elle tenta bien de répéter la comptine mais les mots se perdirent dans son rire et dans l'herbe. Attendri par ce visage plein de gaité, à la peau laiteuse, mangé par les yeux malicieux, il relâcha son étreinte. Saisissant cette faiblesse, elle s'échappa trébuchant dans ses jupons. Et comme tout enfant que rien n'arrête et ne fatigue, elle reprit sa litanie à peine libérée de ce bourreau fraternel. Sous le regard amusé de ses frères, sa soeur Marie s'allia à elle reprenant en coeur les mots interdits qui dans leurs bouches rieuses dansaient. Ce duo fragile titillait les aigus plus proches des cris que du chant à mesure que les poumons s'échauffaient. Qui pouvait lire dans ces instants de bonheur, le sort tragique que connaîtraient les fillettes? Qui devinait dans le sérieux affiché du grand frère, occupé à ôter la rouille d'une vieille clé, amusé par le jeu de ses soeurs, l'horreur à venir de son existence?
Ce soir-là, la ritournelle mourut avec les rayons du soleil. Elle ne devait être qu'un souvenir agréable pour cette fratrie ancrée dans un temps passé heureux. Elle ne devait être qu'un jeu d'enfants qui cherchaient à se faire peur en provoquant le sort, cherchant des mirages d'angoisse pour goûter au frisson de la peur. Ce ne devait être qu'un simulacre de prophétie.
« Le neuvième était fou! Qu'en sera-t-il du dixième? » Dixième il n'y aurait pas, tous le pensaient.
Mais le sort en a voulu autrement. Les caprices de la destinée se sont faits entendre. Le neuvième était fou et dixième aujourd'hui il y avait. Mais plus d'Elysabeth, de Louis, de Marie pour lui dire ce qu'il en serait de lui. Leurs voix s'étaient tues, emportées dans les terreurs de l'histoire.
Cette soirée lui était revenue à la mémoire alors qu'il s'habillait pour la cérémonie. Pourquoi? La mémoire ne s'annonce pas et vient quand bon lui semble. L'écho du passé tout d'abord lointain, s'était fait de plus en plus net. Ce soir-là, ils avaient joué à taquiner le malheur. C'est l'effroi qu'ils avaient connu. Dans les tréfonds terrifiants de l'histoire, leurs voix s'étaient éteintes tour à tour. Celle de son frère Louis, hier.

Aujourd'hui, on l'enterrait. Vêtu de son plus bel habit violet, orné de dentelles couleur du raisin qui fermente, il se tenait devant le cercueil de ce frère. Dans son dos, l'assemblée le regardait dans son habit d'apparat. On y décelait des reflets noirs se perdant dans le violet des vagues satinées du tissu, se dissimulant dans le pli des manches, aux aguets dans les creux de l'étoffe précieuse capturant la lumière du soleil. Lui, on ne le connaissait guère. La rumeur de sa dévotion, sa grande piété, son ivresse de prières genoux à terre étaient parvenues jusqu'à la foule. L'homme, lui, était longtemps resté en retrait, s'étourdissant de chasses dans ses forêts profondes et épaisses, chevauchant à perdre haleine dans l'obscurité des bosquets. Homme dévot de l'ombre, voilà ce que la rumeur avait ramené de ses terres. Aujourd'hui, il entrait dans la lumière.
-« Le neuvième était fou! Qu'en sera-t-il du dixième »
Maudite ritournelle! Pourquoi entendait-il si nettement aujourd'hui la voix de sa jeune soeur? Il secoua la tête rapidement pour faire taire cette chansonnette idiote comme pour enlever un bourdonnement. Il ne voulait pas se voir gâcher son plaisir par ces sornettes.
C'était son moment de gloire. Ce matin à la vue de la basilique, son coeur s'était emballé. A la tête d'un cortège de tous les hommes qui comptent de ce début de siècle, il avait pénétré sous le porche puis remonté l'allée centrale. De droite et de gauche, l'assemblée le regardait. A son passage, les têtes s'inclinaient, les yeux se baissaient, les genoux se fléchissaient, et lui levait la tête. Les tambours acclamaient son entrée et accompagnaient ses pas. La marche funéraire l'escortait.

Le noir des tentures accentuait le violet de son habit. Le noir de l'assemblée des crêpes, des satins, des voilages charmaient le violet du satin. L'encens le grisait. Il respirait à plein poumons cet air vicié, chargé de senteurs lourdes si proches de l'odeur d'humus de ses forêts. Odeurs bénites honorant le mort et annonçant de ce fait son triomphe. Le parfum capiteux lui piquait les yeux. Mais à bien y regarder, n'était-ce pas un pouvoir retrouvé qui le faisait pleurer? Son frère, mort, couché dans son cercueil, ne comptait déjà plus. C'était pour lui qu'on était venu!
Arrivé, face à l'autel, il ferma les yeux pour mieux s'enivrer des orgues et de leur musique austère. Les notes atteignirent leur sommet concluant ainsi cette marche triomphante. Mais un murmure couvrit leur force. Les tuyaux crachant les notes funéraires furent couverts par le balbutiement doux et enfantin d'Elysabeth.
-« Le neuvième était fou! Qu'en sera-t-il du dixième? »
-« Elysabeth ?Mais que me veux-tu donc. Vas-tu cesser! » dit-il à voix basse, comme on réprimande une enfant qui n'est pas sage.
Certes, on l'avait accusé des pires maux. Dans sa jeunesse, il avait dépensé sans compter. Mais cela lui était permis. Tout leur était permis. Déjà enfants, on leur passait leurs moindres caprices. Trop content de leur plaire. On s'abaissait devant eux se courbant à leur passage. On les flattait sans cesse. Personne n'était dupe. A commencer par eux. Mais il en était ainsi, comme cela avait été et cela devait être. Ils auraient dû continuer à goûter aux mets les plus fins, à toucher les plus belles soieries et les plus beaux velours, à s'étourdir de danses et de chants, à connaître les plus belles fêtes, à se parer des plus beaux atouts pour les bals. Ils auraient dû!
On l'accusait aussi d'avoir folâtré avec sa belle soeur. Comme si elle avait eu besoin de lui! Certes, ils avaient festoyé ensemble, batifolé plus que de raison, buvant à flots. Mais jamais il ne l'avait touchée. Certes, ils avaient ri à gorge déployée chantant à tue-tête dans les parcs et jardins, s'étaient masqués pour se mêler à la foule. Mais jamais il ne l'avait touchée. La rumeur disait le contraire.
Qu'ils avaient payé cher ces extravagances, ces folies joyeuses! A commencer par elle. Ses quelques années de luxe furent payées au prix fort. C'est la mère qui paya par la mort de ses enfants. C'est la femme qui paya par la mort de son mari. C'est de sa vie qu'elle paya le faste de cette jeunesse débauchée.
Lui aussi paya mais d'une bien pire manière. Dieu trouva un autre stratagème, beaucoup plus cruel. Sa belle soeur trouva la paix dans la mort. Son trépas, malgré l'horreur, fit taire la souffrance causée par la mort de ses enfants, de son époux et par sa déchéance. Lui était resté bien vivant. Beaucoup trop quand la douleur de la perte de l'être cher se rappelait à lui. Dieu l'avait laissé sain et sauf pour mieux le punir. Dieu l'avait laissé en vie mais en lui prenant ce qu'il avait de plus cher, cette femme, qui n'était pas la sienne, mais qu'il aimait.
Il avait eu le temps d'en ressentir la souffrance. Sa disparition l'avait affligé plus que la déchéance de sa famille et la perte de ses privilèges et richesses. La douleur était encore intacte. Et dans ce souvenir à peine cicatrisé que la voix de la petite Elysabeth faisait à nouveau saigner, ce n'était plus face au cercueil de son frère qu'il se trouvait, mais face à celui de Louise. Il se prit alors à avancer la main vers le bois luisant pour le caresser une dernière fois comme il l'avait fait à ce moment là, face à celui de sa bien-aimée. Ses sanglots se mêlaient aux orgues. Accablé de douleur, il fit un pas vers le cercueil. Il voulait retrouver Louise. Sa main se cramponnait au médaillon autour de son cou renfermant son portrait qu'il ne quittait jamais. Accroché à ce qu'il lui restait d'elle, il vacillait. Un silence pesant s'était fait parmi les fidèles qui marmonnaient mécaniquement leur prière, plus occupés à scruter cet homme singulier.
On se regarda, embarrassé. Personne ne comprenait cette tristesse affichée. On savait qu'il considérait peu son frère. Alors pour qui étaient ces larmes? Les bruissements des robes et des habits de deuil qui bougeaient pour tromper l'inquiétude naissante, le ramenèrent au temps présent, laissant Louise là où elle était. Le regard inquiet du prêtre le ramena à la raison et ce, devant le bon cercueil, celui de son frère.
-« Tais toi donc, Elysabeth. Regarde où tu m'emmènes. Comprends que je ne pouvais pas vous sauver. Nous avions été abandonnés de tous. Mais aujourd'hui, je vous venge. Je lave vos honneurs. »
A cette pensée, il reprit une stature digne. Il marmonna le sermon du prêtre qui observait ce fidèle troublé. Le choeur entonna le chant des morts. Voix graves et puissantes montèrent dans les hauteurs de la basilique.
Mais ce n'était déjà plus le recueillement qui régnait à peine les premières notes jouées. Que cette messe était tourmentée! Tous les yeux se braquaient à nouveau vers lui. Il avait mis ses mains sur ses oreilles, avec une force démoniaque, tel un étau voulant emprisonner une étrange clameur. Mais qui pouvait savoir que ce n'était que la petite Elysabeth qui revenait?
Il l'entendait si clairement.
-« Le neuvième était fou! Qu'en sera-t-il du dixième? ».
Il se retourna alors, les yeux brillants, la cherchant dans l'assemblée. Il regarda sur le banc des enfants. C'était le fillette qu'il entendait, sa voix chantante, son visage rayonnant. Mais aucun visage n'était celui de sa soeur. Il n'y avait que des visages soucieux le fixant. Il balayait les rangs, marmonnant son prénom.
Son esprit affolé tenta de se ressaisir. Elysabeth était morte plus âgée! Il lui fallait trouver cette jeune fille au regard perçant qui n'avait pas crié devant la mort. Il ne voyait que des visages graves, des tenues noires, des têtes qui se baissaient, non plus par respect, mais par gêne. Son regard implora alors le prêtre de lui dire où était Elysabeth. Mais ce dernier fixa son missel fuyant l'étrange lueur de ses yeux. Que lui dire d'ailleurs? Qu' Elysabeth, comme Louise, n'était plus qu'un amas de poussière?
-« Le neuvième était fou. Qu'en sera-t-il du dixième? ».
La ritournelle passait maintenant en boucle dans son esprit. La voix avait perdu de sa candeur Elle prenait un ton aigre, agaçant. Oui, le neuvième était fou, tout le monde le savait. Le pouvoir lui avait rongé l'esprit. La tragédie de l'histoire avait gangréné sa raison. Oh oui, il était fou! Plus personne ne s'en cachait. Chevauchant les couloirs de son palais à moitié nu, il hurlait des mots insensés. Le regard halluciné voyant les ennemis de Dieu là où les autres ne voyaient que les ombres du soleil. Le regard perdu dans de folles chimères sanguinaires, il décapitait quiconque sur son chemin. La volonté divine avait utilisé sa faiblesse d'esprit pour se débarrasser des usurpateurs. Dieu avait utilisé sa soumission et son total dévouement en le conduisant à la folie pour mieux l'utiliser.
Mais lui ne serait pas fou, il le savait. Le pouvoir ne le contaminerait pas. C'est sa raison qui permettrait le succès de l'entreprise divine. Il s'appliquerait à redonner à l'église sa grandeur en redevenant son héritier sur terre, comme l'avaient été ses frères, son grand père et
tous ses ancêtres. L'histoire les avait trahis, les avait guillotinés. Il serait celui qui leur redonnerait leur grandeur. Son frère, couché devant lui, avait restauré leur pouvoir mais de façon si timorée, en cherchant les compromis, que cela en était ridicule.
Lui, ne se contenterait pas de demi mesures. Mais il lui faudrait être habile, laissant quelques acquis au peuple, des os à ronger, pour mieux leur reprendre ce qu'il leur avait volé, à lui et à sa famille. Et ensuite il afficherait la couleur. Comme il l'avait déjà fait aujourd'hui en se parant de violet, la couleur de deuil de la monarchie, ricana-t-il. Il lui faudrait être patient, manoeuvrer dans l'ombre, retrouvant peu à peu les fastes perdus. D'ici quelques temps, il rétablirait le sacre. Il renouerait avec le faste du couronnement, tel qu'il l'avait vu pour son frère Louis. Il ressortirait l'hermine, en chasserait les mites. Il dépoussiérait le sceptre protégé tout ce temps de la fureur et de la folie du peuple.
Dieu l'appelait. Roi sur le tard, armé de la force du désespoir, il acceptait cette charge. C'était perdu d'avance, il le savait. Le peuple avait goûté à la liberté et n'y renoncerait pas. La République avait du mal à s'installer mais elle avait mis un pied dans l'histoire. Rien ne pourrait l'en déloger. La gangrène était bien là. Aujourd'hui, l'histoire balbutiait. Un relent de royauté réconfortait les esprits. Ce ne serait qu'un hoquet de l'histoire. Un baroud d'honneur qu'il rendrait plein de grâce.
-« Le neuvième était fou! Qu'en sera-il du dixième? »
- « Tais-toi Elysabeth, lui répondit-il sèchement. »
Le neuvième était fou. Oh oui! Fou de Dieu! Entends bien Elysabeth, moi, je serai le dixième et je mettrai toute ma raison à son service. J'en fait le serment devant toi.
Son visage alors s'éclaira, le tremblement de ses mains s'arrêta. Elysabeth essaya une nouvelle fois de le taquiner. Mais sa voix se perdait au fond de ses pensées. Elle était un murmure à peine audible. Elle avait rejoint cet instant passé où ils jouaient enfants, où la vie était douce et tracée. Sa froide détermination, son engagement total au service du dessein divin, la firent taire à jamais
La cérémonie s'achevait. Il soutenait maintenant le regard du prêtre qui baissa les yeux. Une dernière fois, il regarda avec froideur le cercueil de ce frère. Au son des orgues, il se retourna, prêt à sortir, lissant son bel habit violet, sourire aux lèvres.
Les mines inquiètes des modérés le ravirent. Il commença à remonter la nerf, jetant un regard sur l'assemblée. La foule, à son passage, baissait les yeux. Elle s'inquiétait de ce soubresaut de l'histoire, de ce roi à la réputation si tranchée. Elle avait goûté à la liberté. Qu'en serait-il désormais? Et, puis, dans toutes les familles, on racontait l'histoire de cet ancêtre au même patronyme. Superstitieuse, elle susurrait cette ritournelle venue d'un autre temps:
-« Charles IX était fou! Qu'en sera t-il de Charles X? »



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Prix de la Ville de Rueil Malmaison

Christianne Dordonnat


Mon parcours d'écriture :

Si cette nouvelle « Puissance 10 » est la première production que je propose à un concours, je suis depuis très longtemps fascinée par l'univers du livre.

C'est François Mauriac, en 1966, qui a provoqué d'une certaine manière le choix de mes études de lettres et donc ma profession d'enseignantes car ses romans m'ont fait comprendre que l'univers de l'écriture m'emportait dans un monde déjà dessiné mais dans lequel je pouvais avoir, même modeste, de récréation.

Mes premières émotions littéraires ont donc été de faire partager ma passion avec mes élèves, mais passer de l'analyse d'un roman à l'écriture est une tout autre chose.Un « Journal » m'accompagne depuis de nombreuses années car la vie se construit avec quelques instants d'exceptions que je trouverais désespérant d'oublier. Un ouvrage plus ambitieux est en « gestation », un roman à deux voix, qui met en parallèle un vrai journal intime et les souvenirs d'une personne qui apparaît dans cette vie écrite. Cette rencontre nous montre combien notre réel est reconstruit : où est la vérité, nos souvenirs sont-ils fiables ? La disponibilité en temps (et en énergie) que m'offre depuis peu ma retraite va-t-elle me permettre d'accoucher de cet ouvrage ? 
 
Ma nouvelle : 

PUISSANCE 10
 
Non, elle ne pouvait pas me faire cela,  me laisser ainsi sur un banc, après plus de trente ans de vie commune. Notre coexistence avait débuté au lycée, c’est dire ! Je l’avais suivie partout, j’avais supporté presque sans dommage tous ses déménagements et je dois l’avouer avec fierté, j’étais resté son préféré, sa petite madeleine si l’on peut dire, et ce n’était pourtant pas gagné d’avance.
Elle avait réussi son bac grâce à moi, enfin elle se plaisait à le raconter : je l’aurais inspirée pour traiter une dissertation sur le romancier et ses personnages. Bref, une relation à la fois passionnelle et littéraire. Elle avait même osé écrire à mon auteur pour le remercier et lui dire son admiration : François Mauriac, Académicien, France ! et l’enveloppe  provenant de Malagar lui fit croire, quelques jours plus tard,  que la vie valait vraiment la peine d’être vécue. Vous comprenez mieux pourquoi me retrouver ainsi sur un banc était incongru.
J’étais donc là, non loin de la statue de Louis XIII, en plein milieu de la place des Vosges. Elle s’était postée un peu plus loin, derrière un arbre, pour observer la scène. C’était pathétique. Il arriva ce qui devait arriver, un passant me vit, regarda autour de lui et, un peu gêné, s’assit mine de rien. Feignant un geste naturel, l’homme me prit, me retourna, évalua la situation et finalement lut les premières lignes : «  Pourquoi me soutenir que tu sais ta leçon ? » Le nom de l’auteur lui disait quelque chose, la photo d’un écolier d’un autre temps sur la couverture l’étonna un peu mais ce qui attira vraiment sa curiosité fut la petite fiche imprimée qui se trouvait à l’intérieur. Le titre « Passe livres »  était suivi d’un texte court qui expliquait la marche à suivre : on devait trouver un endroit judicieux et laisser ce roman après lecture pour qu’il vive ainsi au hasard des rencontres. J’avais sottement espéré qu’elle abandonnerait le projet et que je resterais sagement chez moi – enfin chez elle. J’étais partagé entre la colère d’avoir été choisi pour être « égaré », et la fierté d’être l’élu. En tous cas, j’en étais sûr, mes jours étaient comptés, surtout en ces périodes où tout paquet abandonné était suspect. Finalement, ce parisien de passage fut mon premier lecteur. Je ne peux pas dire honnêtement qu’il ait été enthousiasmé mais cette histoire d’enfant mal aimé l’occupa deux petites heures, enfoncé dans un canapé sur un fond de jazz. Il me posa sur un coin de bureau, entre une forêt de chargeurs et quelques enveloppes ouvertes et je passai là une dizaine de jours.
Un matin, il sembla se rappeler que j’existais et je partis dans sa poche, j’étais d’ailleurs un peu fait pour cela. Il avait relu la fiche en souriant. Il devait, comme d’habitude, descendre à Odéon mais il faisait beau et se dit que les jardins de l’Hôtel de Cluny seraient un endroit favorable car de nombreux étudiants viennent souvent y discuter.  C’est comme cela que je je fus déposé devant les parterres de fleurs médicinales de ce  jardin moyenâgeux. Ce fut une femme d’un certain âge  qui m’adopta assez vite. Visiblement, mon format modeste lui plut et je me retrouvai quelques jours plus tard dans son sac, j’allais être sa lecture de voyage. Je n’avais pourtant rien d’un roman de gare, mais bon, voyager m’amusait assez. Je compris vite pourquoi mes 140 pages l’avaient attirée, je fis juste les 70  minutes  du  trajet Paris - Vierzon. Tout le monde ne peut pas s’offrir un aller- retour Paris - Rome ! La grand-mère qu’elle était fut émue par l’histoire tragique de cet enfant attachant, repoussé par sa mère qui ne peut accepter sa différence et qu’elle traite de sagouin ! Comme ses petits enfants avaient de la chance ! elle les imaginait déjà jeunes gens, délicats, lumineux.Elle aussi avait accepté avec curiosité le pacte de lecture que proposait la petite fiche. Elle me laissa donc sur la banquette du train  à son retour à Paris. Evidemment, je n’avais pas mon mot à dire, mais un train qui arrive en gare n’est franchement pas la meilleure initiative.  Dix minutes plus tard, j’ai donc vu arriver avec une certaine angoisse le personnel de ménage, et j’évaluai rapidement mes chances de survie : 10% au maximum.  Pourtant, l’employée qui s’occupait de ma voiture s’est souvenue qu’autrefois on lui avait dit qu’un livre, c’était sacré, on ne devait pas le déchirer et  encore moins le jeter. Et puis, c’était peut- être intéressant : la photo d’un enfant en blouse bleue la rassura. Elle me glissa dans sa poche. L’affaire était gagnée et  je partis soulagé pour ma quatrième aventure.
Avouons-le, ce fut plus difficile mais je fus tout de même très fier : ma propriétaire m’ouvrait de temps en temps et la petite fiche servait de marque-pages. Je l’accompagnais ainsi dans son lit, avant de dormir, pendant quelques minutes. « Longtemps je me suis couché de bonne heure »  aurais-je pu dire dans une autre vie  ….Mais elle voulait absolument savoir si ce petit Guillou allait être aimé, embrassé, sauvé et elle me  lut courageusement  jusqu’au bout. La fin la déçut, elle savait bien comment elle aurait terminé l’histoire, elle. Par respect pour moi, elle me posa quelques jours plus tard sur une table du buffet de la gare d’Austerlitz.
A côté, un homme terminait nerveusement son café, jetant parfois un coup d’œil sur les panneaux d’arrivée des trains. Il avait devant lui une tablette numérique qu’il utilisait pour écrire un texte : ce soir, il devait faire un discours devant ses collègues, et de temps à autre, son regard se posait sur ses voisins. C’est ainsi qu’il me vit et la présence incongrue d’un livre sur une table inoccupée attira son attention. Amusé, il m’ouvrit au hasard : «  instituteur de institutor, celui qui établit, celui qui instruit, celui qui institue l’humanité dans l’homme » Mais bien sûr, il l’avait sa formule, lui qui avait consacré dix ans de sa vie à former de jeunes médecins. Oui, mes chers collègues, vous allez bientôt rejoindre la cohorte des hommes qui savent que l’humain est au centre de tout. Les mots venaient plus facilement maintenant,  il s’entendait déjà dans ce grand amphi, applaudi et respecté. Une annonce lui rappela l’arrivée de son fils venu pour l’occasion. La journée se présentait bien. Il se leva gaiment, me prit sans même un regard à mon auteur (ne faut-il pas rendre à César ? …)  et me jeta dans la première poubelle.
Cette fois, c’était fini, je le savais bien, je n’avais même pas accès au tri sélectif, c’était la benne qui m’attendait. Mais un détail m’avait échappé, la poubelle était pleine, et un objet de consommation devant des dizaines de passants,  statistiquement, cela ne passe pas inaperçu. L’idée de récupérer un objet gratuit est irrésistible et une femme assez élégante me saisit.
Je quittai donc la gare rapidement,  coincé entre une bouteille d’eau entamée et un bric- à-brac  peu commun. J’étais plutôt content de cette présence féminine mais je ne tardai pas à déchanter. Quelques jours plus tard, en me voyant sur un coin de la console de l’entrée, ma nouvelle propriétaire parut soudainement satisfaite et je me suis retrouvé entre la machine à laver et le mur de la cuisine, j’avais l’épaisseur exacte de l’espace libre et je pouvais atténuer les vibrations de l’essorage. Me faire cela à moi-  à lui ? Quelles étaient mes fautes pour mériter d’aussi misérables réincarnations ? Allais-je tout simplement finir mon existence contre un mur gras, obligé d’assister à la sortie des blattes la nuit tombée ?
Ce martyr dura quelques semaines mais je fus miraculeusement sauvé par une inondation : aux dires du réparateur, la panne était définitive et je me retrouvai libre. J’étais bien un peu défraîchi mais mon séjour tassé contre la machine m’avait en quelque sorte défroissé. Je repris donc du service. Ma propriétaire, après m’avoir lu – il était gratuit mais tout de même – eut l’idée de me donner à son père qui avait été instituteur de campagne. Une manière sans doute de régler de vieux comptes avec cet homme autoritaire qui n’avait pas beaucoup aimé les enfants, les siens comme ses jeunes élèves. Le suicide final du petit Guillou repoussé par son maître d’école le ferait peut-être réfléchir -  souffrir ?
Non, il ne souffrit pas car il ne se reconnut pas dans cet instituteur. Au contraire, il se souvint  avec émotion de ce métier qui lui avait donné l’occasion de transmettre son savoir. Il revoyait ses élèves obéissants et dociles, qui l’admiraient sans doute, qui l’écoutaient sans bouger et sur lesquels il régnait sans partage. Je fus alors posé sur une étagère et on m’oublia plusieurs mois jusqu’au jour où mon propriétaire reçut quelques amis. Ils évoquèrent un concert qu’ils avaient entendu récemment et en vinrent à parler de Schubert et du Roi des Aulnes. Mon vieil instituteur se souvint alors de moi, me sortit du rang et retrouva rapidement le passage où l’enfant et le père courent vers la mort, qu’il lut d’ailleurs un peu trop solennellement à mon goût, mais bon !  cela fit de l’effet sur son auditoire.
Tout naturellement, je passai dans les mains d’un de ses amis et j’eus alors l’occasion de connaître ce qu’était la manie du rangement. Je fus d’abord nettoyé très soigneusement avec un coton légèrement imbibé d’alcool : mon titre, Le Sagouin, devait l’effrayer.  Qu’aurais-je subi s’il avait su que j’avais vécu plusieurs moi avec les cafards, sans oublier mon passage dans une poubelle ! Puis il chercha à me trouver une place. Quel était le rangement le plus judicieux, par couleur ? par taille ? par auteur ?  par édition ? avec les lus ? avec les nouveaux ?  L’angoisse était palpable et je me sentais confus de provoquer de pareils conflits intérieurs. J’allais d’un bout à l’autre de sa bibliothèque, j’étais pour tout dire complètement étourdi. Enfin ma place fut trouvée et je fus posé dans les dégradés de beige : ce n’était pas si mal, finalement. Et je restai là, satisfait tout de même de participer pour la première fois  à l’élégance d’une étagère. Un jour, il  entreprit d’épousseter ma rangée et la mise en page de  ma couverture l’attira : il décida de me lire.  L’écriture élégante et mesurée de mon auteur lui convint parfaitement. Après hésitation, il me rangea dans les petits formats.
J’aurais pu terminer là une  existence rangée, sans histoire et sans poussière mais mon maniaque avait une voisine qui élevait tant bien que mal un adolescent improbable. Elle lui fit part un jour  de son embarras : son fils devait présenter un roman pour un exposé devant la classe et, bien entendu, il ne restait que quelques jours …Y aurait-il un livre court, pas trop difficile, qui pourrait faire l’affaire ? Un rapide coup d’œil aux « petits formats » décida du choix et mon propriétaire me donna sans trop de mal car j’avais tout de même gardé, malgré ses efforts,  d’inquiétantes imperfections. Je repris donc du service. Je me fis tout petit, allez, à peine 140 pages, et en plus écrit gros ! En réalitéje n’étais pas fier, le risque était grand, et mes adversaires puissants et très illustrés. Curieusement, je plus beaucoup. Mon jeune collégien se sentit tout de suite proche de cet enfant que l’on n’aime pas, qui peine à apprendre ses leçons et qui s’évade avec Jules Verne. Il comprit parfaitement les délicatesses des sentiments, les silences et il pleura secrètement lorsque le père et le fils s’enfuient sous les aulnes vers une mort énigmatique. L’exposé fut construit rapidement et avec enthousiasme. « Eh bien, en voilà une surprise, tu ne m’avais pas habituée à cela », déclarason professeur.Et il se fit applaudir par la classe, ce qui valait d’ailleurs toutes les récompenses.
Je l’avais ma revanche : j’avais vécu toutes ces vies pour en arriver là, ce moment était un pur bonheur, et j’aurais même accepté le pilon.Mais, à la fin de l’année scolaire ma propriétaire me jugea digne  de rejoindre  un sac de livres qu’elle destinait à un magasin qui reprenait les occasions. Quelques jours plus tard,  je me tenais bien droit sur une étagère à la lettre M, serré entreDestins etUn Adolescent d’autrefois. Bien sûr, les livres neufs crânaient, tout pimpants et sans une ride,  mais moi, j’étais plutôt fier de mon parcours agité. Pour être honnête, je dois dire que je ne donnais pas cher de mes chances  de sortir de la librairie: me prendre au hasard me semblait irréel maintenant, de plus ma quatrième de couverture  évoquait l’histoire d’ « une famille de hobereaux du Sud-Ouest » ce qui n’est pas très vendeur, il faut l’avouer. Je passai donc plusieurs mois sur cette étagère. Et puis un jour de décembre, alors que je rêvassais, je la vis : c’était bien elle et je retrouvais intact son regard gourmand devant les livres. Elle avait gardé  cette manie de faire défiler les pages pour sentir la disponibilité du volume et de lire au hasard une phrase – elle était persuadée que les  livres faisaient parfois  des « signes ». Elle s’arrêta d’abord devant le bac des nouveautés et je n’arrivais même pas à lui en vouloir pour cela. Puis elle se retrouva à longer mon mur. Je m’aperçus à ce moment-là que le hasard alphabétique correspondait à la hauteur de son visage. Elle passait délicatement  son doigt sur les dos des couvertures et ce sont les cicatrices de mes vies antérieuresqui attirèrent son attention. Je compris tout de suite le frémissement de sa main : et si c’était lui ? Alors elle m’ouvrit et lut : « elle se réjouit de ce qui ressemblait à un commencement de complicité. » Elle alla vite à la dernière page, là où elle faisait toujours une petite marque pour imprimer son passage comme certains  le font sur des billets de banque. Oui, c’était bien moi, elle semblait si émue … Je compris alors qu’il m’avait fallu vivre dix existences pour trouver enfin le vrai repos.  L’émotion fut grande, nous savions l’un et l’autre que nous nous étions enfin, et pour toujours,  retrouvés.

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